Une embrouille interrompu (Lev Zirkov)

"Le racisme est scientifiquement stupide. Le fait de naître dans une famille ou un pays est uniquement lié au hasard et déconnecté de tout mérite personnel. Comme la beauté."

La représentation de ce soir avait été un succès mais je n’avais pas été aussi heureux de ma prestation. J’avais beau être quelqu’un de très spontané voire d’immature, je restais un enfant du cirque et donc, très critique quant à mes prestations. Je n’aimais rien de moins que la perfection. Or, ce soir, j’avais été un peu tête en l’air. Pour un clown, tomber lors d’une acrobatie pouvait paraitre calculé mais cela n’avait pas été le cas et ma sœur jumelle, loin d’être dupe, m’avait vertement réprimandé. On était ainsi tous les deux : fusionnels et intraitables envers l’autre. Je ne lui en voulais pas car j’avais réellement eu besoin de ce coup de pied aux fesses. Je n’avais simplement pas compris qu’elle ne serait pas la seule ce soir, à me corriger. Je venais à peine de quitter la roulotte de ma mère après avoir diné en sa compagne et celle de ma sœur. J’avais l’intention de rejoindre April afin de discuter avec elle. J’appréciais de plus en plus la jolie brune. « Hey le gitan ! » furent les premières paroles que j’entendis. Je fronçais les sourcils tellement habitué à me faire alpaguer de cette façon. Les gens pouvaient avoir une vision si rétraicie du monde du cirque. Faisant le dos rond, j’allais poursuivre mon chemin quand un deuxième homme me bouscula, m’envoyant cogner contre le mur de brique. « Ecoutez, je cherche pas d’ennuis. Vous n’aimez pas le cirque, j’y peux rien mais chacun est libre de faire ce qui lui plait » tentais-je de plaider ma cause. Je ne voulais pas me battre. Je ne savais pas me battre. « Alors si avec mes potes, ça nous plait de te casser la gueule, on a le droit ! » utilisait-il mes propres mots contre moi. « Je ne disais pas ça dans ce sens. Franchement, vous avez sûrement mieux à faire et moi aussi alors restons-en là ». Nouvelle tentative, nouvelle échec. L’un des trois gars me donna un violent coup de poing dans le ventre avant de m’envoyer vers son copain qui se contenta de me rejeter sur l’autre. Et ainsi de suite avec quelques coups à la clé. Je terminais au sol, la respiration coupée et la lèvre fendue quand quelqu’un s’interposa. « ATTENTION ! » m’écriais-je en voyant l’un des trois, sortir également un couteau pour foncer vers le bon samaritain.  

"Le racisme est scientifiquement stupide. Le fait de naître dans une famille ou un pays est uniquement lié au hasard et déconnecté de tout mérite personnel. Comme la beauté."

J’étais à la fois pétrifié sur place mais aussi complétement ébahi par le calme dont faisait preuve mon sauveur. A sa place, j’aurais hurlé, appelé la police mais je ne serais certainement pas intervenu. Je connaissais mes limites et me battre contre trois hommes armés de couteaux n’en faisait absolument pas parti. Néanmoins, ils étaient encore deux contre un et ce n’était pas vraiment équitable. Je cherchais du regard quelque chose qui pourrait l’aider mais je ne trouvais qu’un épais bout de bois. Il avait du tomber de l’une des caravanes. Sans trop réfléchir, j’allais le tendre à mon sauveur quand j’aperçus l’un des agresseurs se faufiler dans son dos. Il était entre lui et moi, prêt à frapper ce dernier traitreusement dans le dos. Allez savoir ce qu’il m’a prit mais d’un coup sec, je lui donnais un coup sur le crâne. « Mince, je l’ai tué ? » m’exclamais-je avec un fort accent russe. Mon accent revenait toujours quand j’étais énervé ou paniqué. Je n’avais pas réfléchi, est-ce que cela pouvait paraitre comme de la légitime défense ? Mon dieu, j’allais être enfermé en prison et ma mère allait y laisser son cœur. Je ne parlais même pas de ma jumelle. Nous ne pouvions pas vivre l’un sans l’autre. Mon regard se porta sur le combat opposant le dernier assaillant et mon sauveur. Je priais pour que ce dernier l’emporte car nul doute que j’allais prendre cher après avoir assommé voire tuer, l’un de leurs amis.

"Le racisme est scientifiquement stupide. Le fait de naître dans une famille ou un pays est uniquement lié au hasard et déconnecté de tout mérite personnel. Comme la beauté."

J’étais complétement paniqué à l’idée d’avoir tué un homme même si c’était pour en sauver un autre. Je n’étais pas un violent, loin de là. Je détestais même l’idée de me battre. Je me voyais déjà en prison, dans la salle des douches. J’avais lu tellement d’histoires sur des abus en prison que l’idée de servir de casse-croûte à mon codétenu me donnait des sueurs froides. Il fallait peut-être que je m’en aille, que je fuis dans un autre pays ? Ma mère en aurait le cœur brisé et je ne parle même pas de ma sœur jumelle, Larissa. Peut-être que cet homme m’aiderait à dissimuler mon crime aux yeux des policiers de la ville ? Mais pourrais-je vivre avec un meurtre sur la conscience ? Clairement pas. Comment allais-je m’en sortir ? je sursautais presque en sentant la poigne de mon sauveur me brusquer pour qu’on s’en aille. Qu’avait-il dit déjà ? Il n’était pas mort ? Vraiment ? « Vous êtes sur qu’il est vivant ? Je ne vais pas finir en prison, à faire tomber ma savonnette et craindre les assauts sexuels de mon codétenu pour les vingt prochaines années ? Vous en êtes certain ? » insistais-je les yeux écarquillés. Je pouvais paraitre un peu fou mais je n’étais vraiment pas fait pour être incarcéré. Je détestais rester en place. J’avais besoin de bouger, de vivre à l’air libre. On n’enfermait pas un clown dans une cage, c’était bien trop inhumain. En plus, je venais de me faire ma première amie dans cette ville, c’était bien trop tôt à mon goût de partir. « Non ça ne va absolument pas. Je n’ai jamais demandé à ce que ces hommes me tombent dessus parce qu’ils sont débiles, racistes et que le cirque leur fait horreur » lui répondis-je avant de me mettre à baragouiner des phrases intelligible dans ma langue maternelle. Je faisais les cent pas avant de m’arrêter pour lui faire à nouveau face. « Je manque à tous mes devoirs. Je vous remercie de vous être arrêté pour me venir en aide. J’ai une dette envers vous à présent et sachez que je souhaite m’en acquitter ! Je me nomme Lev et je suis serais votre nouvelle ombre » lui dis-je d’un ton solennel en lui tendant ma main. Ma mère serait fière de moi, elle qui tenait tant à ce que l’on tienne nos engagements et surtout que l’on respecte un certain code d’honneur.

"Le racisme est scientifiquement stupide. Le fait de naître dans une famille ou un pays est uniquement lié au hasard et déconnecté de tout mérite personnel. Comme la beauté."

Il n’était qu’assommé, je devais donc arrêter de craindre le pire mais c’était plus fort que moi. Sous mes airs de joyeux lurons, j’étais quelqu’un de très angoissé. J’avais pour philosophie de vie que chaque épreuve amène son lot d’embrouilles mais surtout de bonheur. Rien n’était ni noir ni blanc mais tout était gris. Enfin, aller en prison me paraissait bien noir pour le coup.  Je m’efforçais donc à retrouver des battements de cœur sereins. Tout allait bien, le danger était écarté et personne n’irait en prison. « Non, c’est inutile. Ici, personne ne prendra le temps d’écouter la plainte d’un garçon du cirque. Ils vont se dire que c’est beaucoup de paperasses pour pas grand-chose puisque nous ne sommes pas des sédentaires » haussais-je les épaules. C’était la stricte vérité. Il m’arrivait souvent d’être confronté à ce genre d’individus et cela faisait longtemps que je me voilais plus la face. La justice n’était pas pour les nomades. « Au pire, s’ils reviennent, ils auront à faire avec la famille s’ils n’ont pas compris ta leçon. D’ailleurs tu étais impressionnant. Tous ces coups pieds, ces coups de poing. Ouah j’avais jamais vu ça avant » m’extasiais-je pour le coup en retrouvant tout mon allant et ma bonne humeur. J’étais heureux d’être en vie, heureux de ne pas aller en prison et heureux de m’être fait une nouvelle connaissance. Jay. Il s’appelait Jay. « Ah mais si j’ai une dette ! Chez les Zirkov, on ne plaisante pas avec ça. Tu m’as sauvé la vie et ma mère voudra très certainement te convier à un diner pour te remercier. Tu crois que tu pourrais m’apprendre à me battre comme toi ? C’est comme dans certaines histoires que je lis. Un homme qui sauve la vie d’un autre, deviens son mentor et lui apprend l’art délicat du combat. Puis, un grand méchant débarque du passé du mentor et tente de s’en prendre à lui. Alors le jeune élève se met en tête de protéger son mentor et de l’aider dans sa lutte contre le grand méchant » m’existais-je tout seul avant de stopper et de me passer la main dans mes cheveux. « Désolé. Je suis passionné de lecture et de temps en temps, je m’emballe complétement »

"Le racisme est scientifiquement stupide. Le fait de naître dans une famille ou un pays est uniquement lié au hasard et déconnecté de tout mérite personnel. Comme la beauté."

Je n’aimais pas les conflits, je préférais de loin les éviter. Dans ma famille, j’étais certainement le plus rêveur, le plus utopiste. J’aimais me faire de nouveaux amis, découvrir de nouvelles cultures mais également partager celle qui m’avait fait grandir et devenir l’homme que j’étais. Certes, aucune culture n’était parfaite mais le monde du cirque était diabolisé depuis trop longtemps à cause des préjugés sur les personnes vivantes de cet Art. On nous attaquait de toute part. Dernière, c’était par rapport à nos animaux. Je ne pouvais pas dire que tous les cirques traitaient leurs animaux avec humanité mais delà, à dire que tous les cirques pratiquaient la maltraitance, c’était fort de café. Ce serait comme affirmer que tous les propriétaires d’animaux de compagnie traitaient mal leurs compagnons à quatre pattes. Je détestais cette façon de cataloguer les gens, de leurs mettre une étiquette. Nos animaux étaient l’âme de notre cirque, l’ADN de notre famille. J’avais beau avoir peur des tigres et autres de mon cousin Oleg, je ne me voyais pas vivre sans eux. Ils étaient de notre famille. Maintenant, tout était une question de groupe de pression. A chaque génération, ses excès comme les Vegan. Etant moi-même végétarien, je me ralliais en partie à leur cause mais juger une personne parce qu’elle mangeait de la viande, je ne trouvais pas cela juste. On se bat pour une liberté, on s’offusque de la tyrannie des hommes politiques, on se révolte contre des civilisations mais notre simple façon de vivre devient polémique quand une poignée de personnes, poussée par une mode éphémère, refait une chasse aux sorcières. J’étais peut-être trop optimiste, trop rêveur pour croire que tout le monde pouvait réussir à se côtoyer et vivre ensemble. La preuve que ce n’était pas possible et pourtant. Jay ne me connaissait pas et il était intervenu pour me sauver. Il y avait peut-être encore de l’espoir. « La prochaine fois mais je crois qu’ils ont eu leur correction ce soir » déclarais-je avant de calmer ma panique liée à la prison. A la place, je déclarais à Jay que j’avais une dette de vie et que ma mère tiendrait au moins à le rencontrer. « Tu as pris la bonne décision. Ma mère serait capable de remuer ciel et terre pour te retrouver afin de te remercier. Il ne faut jamais soupçonner l’entêtement d’une russe » rigolais-je de bon cœur avant de le regarder avec un grand sourire. « Je n’ai pas peur de souffrir ni de transpirer ! Je m’entraine tous les jours pour le cirque alors j’ai une bonne condition physique. Quand est-ce que tu m’offres ma première leçon ?? »