Manger à l'oeil !

   Zola & Joan

   Manger à l'oeil !

La pause déjeuner. C’est pour la plupart des gens, le moment pour eux de faire – comme son nom l’indique – une pause ! L’instant où ils se prélassent, évacue la pression, reprenne des forces pour mieux affronter le reste de la journée. Pour moi ? c’est l’inverse ! C’est le moment où je me mets la pression, ou je dois être active à 300% et avoir suffisamment d’énergie pour entraîne mes employés et moi-même au meilleur rythme pour satisfaire les clients. Si bien que parfois, on privilégie la bonne tournée des tables et en oublie le côté social. Heureusement pour moi, mon restaurant n’est pas un de ces lieux de grand standing, avec une clientèle débordante. Ce n’est pas que je n’ai pas d’ambition sur ce sujet, c’est juste que je préfère de loin l’ambiance décontracte et familiale à l’effervescence. Ce qui fait que j’arrive tout de même à prendre du temps pour la clientèle, la plus fidèle, celle qui n’attend rien si ce n’est de retrouver ce pour quoi elle est venue la première fois, en ces lieux !

Parmi ces plus fidèles justement, il y en a une qui vient d’arriver. Zola Douglas. « Bonjour Zola ! Comment ça va, aujourd’hui ? »  Je me souviens encore de sa première venue dans mon restaurant, lorsque celui-ci venait à peine d’ouvrir…Sincèrement je crois qu’à la base, cette trentenaire overbookée cherchait avant tout un endroit au calme où se poser pour continuer de bosser en mangeant, et certainement la qualité d’une tradition italienne dans mes petits plats ! Ce qui était d’autant plus un challenge pour moi en somme. Il y a quoi avoir la pression quand on voit débarquer ces premiers clients, tous un peu en découverte et dans l’expectative, et que parmi eux, on en trouve une qui ne s’inquiète même pas du lieu, du décor, ou de ce qui se trouve dans le menu, tellement on la sent sous pression aussi. J’ai flippé, bêtement…Flippée de ne pas savoir comment interagir avec elle, de ne pas pouvoir lui permettre de trouver en mon restaurant de quoi la faire sortir de son monde. Et finalement ? il a fallu un plat. UN seul, un qu’elle a choisi -parfaitement au hasard peut-être ? – pour qu’elle s’arrête enfin, et qu’elle prenne le temps. Je vous jure, c’est comme si le monde s’était arrêté à l’instant même où elle a pris sa première bouchée.

Depuis ce jour ? cette femme est de celle que je chercherais sans doute toujours à vouloir surprendre. Ajoutons à cela que la jeune femme s’avère être quelqu’un de fascinant et d’intéressant ! J’ai appris des choses à son sujet à chacun de ses passages et de nos conversations, entre autre qu’elle était avocate au pénal si bien qu’il devenait logique d’imaginer que tout un monde pesait sur ses épaules et que le terme « pause » ne devait pas souvent être employé pour elle. Et pourtant, elle me gratifiait de son temps, trouvait le moyen d’apprécier mon restaurant et les menus que je lui proposais !

Ce n’est pas étonnant, finalement, que j’ai pensé à elle pour le projet que je mets en place depuis quelques mois. J’espère juste que lui exposer mon idée d’être « gouteuse » exclusive de certains plats pour l’organisation de menus traiteurs, ne lui donne pas l’impression d’être un cobaye ! Au contraire, je la trouve bien placée pour être la plus neutre et la meilleure critique possible pour me guider.  En attendant, je demande comme à chaque fois à Sally, l’une de mes serveuses et celle attitrée de Zola, de préparer sa table habituelle et de l’accueillir comme il se doit ! « Sandy, sers-lui ce qu'elle veut à boire en lui disant qu'aujourd'hui c'est la maison qui lui offre la totalité de son déjeuner...je m'occupe d'elle tout de suite après ! »Le temps de donner quelques directives en cuisine, et ensuite je passe voir Zola à sa table…

  Joan & Zola

   Manger à l'oeil !

Zola se souvient de la toute première fois où elle a mis les pieds dans le restaurant de Joan. Elle avait passé une matinée difficile, son boss lui avait fourré les bras de dossiers plus urgents les uns que les autres, et lui avait bien fait comprendre de se débrouiller toute seule. D'habitude, elle restait déjeuner au bureau, mais ce jour-là, elle sentait que si elle restait dans les mêmes locaux que lui, c'est elle qui aurait eu besoin d'un avocat. Zola avait donc décidé de partir déjeuner à l'extérieur, quelques dossiers sous le bras quand même. Elle n'avait pas prêté attention au nom de l'enseigne, ni même à l'état des lieux. Elle était rentrée dans un restaurant qu'elle soupçonnait être italien, s'était affalée à une table, et avait sorti ses dossiers. Elle se rendit compte avec le recul que son attitude avait pu paraître déplacée, mais elle ne s'en était pas rendu compte à l'époque. Elle avait à peine regarder la carte en détail et s'était jetée sur un plat de spaghettis bolognaises pour combler sa rage. L'avocate avait pensé manger tout en continuant d'examiner ses dossiers, afin de gagner du temps-tant pis pour les tâches-mais lorsqu'elle goûta une première bouchée, elle fut incapable de lire quoi que ce soit. Son plat était divinement succulent. C'était même proche de l'orgasme culinaire! Oui, oui, carrément. Pour la première fois depuis son arrivée dans le restaurant, elle prit le temps de faire une pause, d'apprécier et de contempler les lieux, et son plat.

Depuis, elle revenait régulièrement dans ce restaurant. La cuisine était excellente. Elle l'avait même conseillée autour d'elle et elle savait que des collègues venaient ici de temps en temps. Au fur et à mesure de ses visites, elle était devenue amie avec la propriétaire des lieux, Joan. Elle faisait aussi bien attention à ne plus emporter de travail quand elle venait ici. De toute façon, elle préférait bavarder avec son amie. Elle était devenue fan de cet endroit, c'était le seul lieu dans lequel elle parvenait à se déconnecter totalement de son travail et du monde extérieur. Elle ne remercierait sans doute jamais assez la propriétaire pour ça. “Salut Joan! Ca va bien et toi? Comment vont les affaires?” Elle suivit Sandy et se promit de remercier Joan lorsqu'elle passerait la voir. Cette fille était en or, et elle était bien contente de l'avoir rencontré. Zola commanda un coca light et une pizza avant d'attendre son amie. Elle venait presque une fois par semaine dans ce restaurant, et pourtant chaque visite était unique à ses yeux.

   Zola & Joan

   Manger à l'oeil !

Sandy avait su accueillir Zola pour lui permettre d’avoir ses habitudes dans le restaurant, et pour ma part, je chérissais comme je le pouvais des clients comme l’était l’avocate. Ainsi, après avoir donné quelques directives en cuisine, et accueilli deux trois autres clients fraichement débarqués, et avoir écouté Sandy m’énoncer la commande de sa table, j’étais passée directement à la table de Zola pour prendre de ses nouvelles et aussi pour lui faire part de ma proposition. J’apportais avec moi le verre de Coca light qu’avait commandé mon amie, ainsi qu’un autre verre vide. « Tiens ma belle ! » Je pris ensuite place en face de Zola, sur la chaise libre de sa table, signe que je prendrais tout mon temps pour lui tenir compagnie et discuter un peu avec elle « Désolée pour l’attente, c’est un jour un peu particulier aujourd’hui, y’a pas mal de chose à faire en cuisine en plus du service ! » Sur la table, trônait le pichet d’eau fraiche qu’avait déposé Sandy. Je le pris pour me servir un verre, tout en questionnant mon amie :« Tu croule sous le boulot, toi, en ce moment ?! » Un petit passage obligatoire sur les derniers news que chacune aurait à donner était clairement inévitable ! C’est d’ailleurs comme cela que j’avais un jour appris que Zola avait choisi de faire de la colocation avec une autre femme. Femme que je connaissais très bien pour faire partie de mon entourage : Katherine, l’amie d’une amie, devenue forcément une amie ! Comme quoi, le monde est finalement bien petit. « Tu te prendras des vacances cette année ? »

  Joan & Zola

   Manger à l'oeil !

Elle était tellement absorbée par ses pensées qu'elle ne vit pas de loin Joan arriver vers sa table. Elle avait la tête encore remplie des dossiers pour l'après-midi, mais la voix de son amie lui fit se rappeler qu'elle ne devait pas penser travail ici. C'était la règle. “Salut Joan! Merci beaucoup.” Elle attendit que son amie prenne place en face d'elle pour continuer. “Ne t'inquiète pas je comprends! Un jour spécial? De nouvelles recrues?” Elle soupira grandement et observa son interlocutrice se servir un verre d'eau. “Ca se voit tant que ça…? Si tu savais comment mon patron m'en fait baver en ce moment. Mais je vais lui prouver que de une, ça ne m'atteint pas, et de deux, que je suis capable de gérer ses foutues sautes d'humeurs et contraintes. Et toi, comment ça se passe ici? Le restaurant fait fureur?” Elles ne s'étaient pas vues depuis quelques temps déjà et n'avaient pas eu le temps de prendre beaucoup de nouvelle l'une de l'autre. Zola appréciait les moments calmes comme ceux-là avec ses amis. “Des vacances? J'aimerais bien! J'espère que mon chef va les accepter, mais je ne sais pas si je resterai ici à La Nouvelle Orléans, ou si je pars un peu plus loin… et toi? Tu peux t'octroyer un peu de temps libre ?”. Elle prit une gorgée de coca avant de poursuivre: “La prochaine fois, j'essaie de venir avec Kath! Ca fait tellement longtemps qu'on ne s'est pas fait un moment à trois!”