[ELLIE] Une patiente à sauver

Il était assez rare que Jacob Lannister intervienne en hôpital. Il avait son propre cabinet en ville mais un collègue avait fait appel à lui quelques heures plus tôt pour lui exposer un cas spécial.  C’était une jeune femme, approchant la trentaine qui venait de se réveiller après un long coma. Déjà, le psychologue avait tiqué. Il était assez peu aisé pour les patients de reprendre une vie normale après une longue durée dans le coma. Ils avaient tendance à souffrir de stress mais également d’une distance avec la réalité ou le quotidien de leurs proches. Il n’était pas évident pour eux de reprendre le cours des choses car les gens avaient avancé et eux non. Jacob avait donc écouté en silence son collègue lui parler de cette jeune femme qui avait été agressée à l’arme blanche au domicile de son frère. Il n’était pas rentré dans les détails car l’enquête de la police n’était visiblement pas classée. Du moins, c’est que Jacob avait compris entre les lignes. Il n’avait pas posé plus de questions car il préférait se faire sa propre opinion et surtout, ne pas partir avec des acquis face à un nouveau patient. Il connaissait le strict nécessaire pour son approche car il était évident que cette femme souffrait d’un syndrome post-traumatique. Son collègue avait réellement décidé de l’appeler suite à un petit incident survenu au moment des soins. Un infirmier était venu prendre un échantillon de son sang mais la patiente avait paniqué au point qu’ils avaient du la placer sous sédatif pour quelques heures. « Je vais prendre le relais si cela ne t’ennuie pas. Je pense pouvoir l’aider » signifia-t-il à son collègue qui tiqua un peu mais accepta de bonne grâce. Après tout, il l’avait appelé de son propre chef. Jacob demanda le numéro de la chambre et se mit en marche. Il n’avait pas demandé de détails physiques ou quoique ce soit qui puisse le mettre sur la voie. C’était l’avantage des premières rencontres, son handicap n’entrait pas en ligne de compte. Arrivé devant la chambre de la patiente, il frappa quelques coups à la porte. « Bonjour. Mlle Thompson ? Je me présente : je suis le docteur Lannister, psychologue. J’aimerais pouvoir discuter avec vous si vous le voulez bien » se présentait-il aussitôt afin de ne pas l’inquiéter. « Souhaitez-vous ma carte de visite ? » reprit-il pour amorcer un début d’échange.

@Ellie Thompson

( Pando )

Quand cet infirmier était entré dans la chambre, ouvrant la lumière aux premières heures de sa journée de travail, il n’avait pas soupçonné un instant que son approche mettrait sa patiente en état de panique. En une fraction de seconde, ce qui devrait être une prise de sang de routine était devenu une gestion de crise. Incapable de la raisonner, il avait tenté de limiter les dégâts en sécurisant l’environnement en attendant du renfort. Effrayée, la jeune femme s’était défaite de ses perfusions comme de son support d’oxygène, lui envoyant en pleine gueule une tasse de thé et son contenu.

Elle avait disjoncté, se mettant elle-même, ainsi que le personnelle, en danger. Déjà affaibli et agissant sous une poussée d’adrénaline, le souffle manquant, le corps avait flanché avant l’esprit. En se réveillant, calmée et dans son lit, tout était en ordre, comme si de rien était. Elle-même ne se rappelait pas ses agissements.

On l’avait avisé qu’un homme passerait suite à cet épisode. Le lendemain, après une longue séance en physiothérapie, elle revenait tout juste à sa chambre lorsque l'inconnu cogna à la porte. Sans même qu'elle le réalise, tous les muscles de son corps se crispèrent instantanément. Sa respiration s’interrompit pour une fraction de seconde alors qu’elle réprimait cette boule d’angoisse qui commençait à bruler au creux de son ventre. Observant le prénommé docteur Lannister, elle confirma d’un hochement de tête son identité et son désir de voir cette carte de visite.

« J’ai déjà vu le psychologue de l’hôpital… »

Lui fit-elle savoir, déjà peu encline à l'idée d'être à nouveau évaluée. Comme dans bien des cas, il était plus facile pour elle d’accepter les blessures physiques que les stigmates de l'esprit. Jamais, la jeune kinésiologue n’avait été aussi méfiante envers les inconnus. À vrai dire, dans son métier, c’était carrément absurde alors qu’elle soignait, jour après jour, de nouveaux patients.

« Vous êtes là à cause de ce qui s’est passé avec l’infirmier? »

Le questionna-t-elle d’emblée se doutant qu’elle aurait des comptes à rendre afin de prouver que de tels évènements ne se reproduiraient pas.

@Jacob Lannister

( Pando )

Jacob observait ou plutôt détaillait la jeune femme qui lui faisait face. Il pouvait la voir se mettre dans une position de défense mais son visage ou plutôt ses traits étaient un peu flous. Sa maladie pouvait être véritablement handicapante par moment mais il avait appris à se fier à ses autres sens afin de pouvoir « voir » les gens. Elle était blonde aux cheveux longs, conséquence de son long coma ou alors une préférence capillaire déjà établie ? Il n’en avait aucune idée et ce détail le chagrina. Il aimait pouvoir se reposer sur des faits fiables. « Je sais que vous avez déjà vu le psychologue mais je pense que ce dont vous souffrez mérite qu’on s’attarde davantage sur votre dossier » lui répondit-il avec toute sa franchise. Jacob Lannister n’était pas un homme qui tournait autour du pot. Sa franchise pouvait être déstabilisante, parfois blessante mais au moins, il ne donnait jamais de faux espoirs à ses patients. Quand une guérison prendra du temps, il préférait être clair et net dès le départ plutôt que de faire croire le contraire. C’était à ses yeux, contre-productif. « En effet, c’est pour cela qu’on a fait appel à moi. Je suis spécialisé dans les troubles mentaux qui apparaissent suite à un événement traumatisant. Dans votre cas précis, il s’agit de votre agression ainsi que de la longue phase de coma de laquelle, vous venez de vous éveiller. Le psychologue que vous trouverez ici, bien que compétent, ne sera pas apte à vous aider sur le long terme. C’est pour cette raison qu’il a fait appel à mes services.  Vous êtes tout à fait libre de refuser, je ne vous y oblige à rien mais minimiser les choses n’est pas très sain. Si vous souhaitez reprendre une vie normale, il vous faudra vous armer de patience et de courage. On ne se remet pas de ce genre de traumatisme d’un claquement de doigt » fut par la suite, ses propos. Jacob ne souhaitait pas paraitre froid mais dans ce genre de moment, les patients préféraient avoir des choses concrètes sur lesquelles se raccrocher et non, un faux sourire. Cependant, son naturel avenant, faisait de lui quelqu’un d’accessible. Sa mère avait tendance à ajouter qu’on lui donnerait le bon dieu sans confession si seulement, son sourire ne montrait pas toute sa malice. « Pour aujourd’hui, nous pouvons simplement nous contenter d’évoquer ce qu’il s’est passé avec l’infirmier ? Qu’en pensez-vous ? » l’interrogeait-il sans geste brusque.

@Ellie Thompson

( Pando )

Le psychologue possédait une stature imposante. Grand et aux épaules larges, il pouvait même sembler intimidant. De là où il se trouvait, il observait. Il la détaillait comme s’il cherchait à mémoriser chacun de ses traits. En apparence, cette façon qu’il avait de la dévisager lui sembla hautaine. Avec une froideur hors du commun, ledit « spécialiste en troubles mentaux apparaissant suite à un traumatisme » fit état de la raison de sa présence.

Pleinement consciente de son problème, elle n’était pas prête à accepter que sa guérison, physique et psychologique, prenne plusieurs mois. Ellie se retint de ne pas l’interrompre et de lui faire savoir qu’elle n’aurait pas besoin de tel service. Cet incident avec l’infirmier n’aurait qui ne se reproduirait pas. Pourtant, la présence du docteur Lannister venait de semer un doute dans son esprit. En aucun cas, il ne la forcerait à requérir à ses services. Elle pouvait librement refuser. Mais s’il disait vrai, si les craintes qu’elle refoulait continuaient à s’emparer d’elle, pouvait-elle se permettre de décliner cette aide?

Quelques longues secondes se passèrent avant qu’elle ne le regarde directement à nouveau. Elle le considérait et évaluer, si oui ou non, elle pouvait lui faire confiance. Une peur viscérale manipulait ses perceptions de la réalité. Elle se méfiait, restant en apparence calme, alors qu’un sentiment intense de paniques lui tordait les tripes. Elle inspira avant de prendre la parole.

« Il était… »

Commençait-elle réalisant subséquemment ne pas avoir de souvenir précis des évènements. Les informations qu’elle détenait étaient principalement celles dont son médecin lui avait fait part.

« Je ne sais pas vraiment ce qui s’est passé! »

Avoua-t-elle, confuse de ne même pas pouvoir lui en dire davantage. Le seul souvenir palpable qu’elle en gardait ne se décrivait pas. Il s’agissait d’un sentiment de grande peur ressemblant étrangement à cette sensation pétrifiante que vous donne le vertige.

« Je ne me souviens même plus de son visage pour être honnête! Je ne l’ai pas reconnu…»


@Jacob Lannister

( Pando )

Jacob s’était présenté et surtout, il avait donné sa vision des choses. La patiente était libre d’accepter son aide et d’entamer un long processus de guérison ou alors, faire l’autruche au risque que tôt ou tard, ses problèmes reviennent sur le devant de la scène. Le professionnel en lui savait pertinemment qu’il ne pourrait engager aucune thérapie sans le consentement de la jeune femme. Mademoiselle Thompson était la seule à pouvoir et vouloir se soigner. Il fut donc satisfait en l’entendant prononcer les premiers mots. « Il n’est pas rare que dans le cas d’un traumatisme ou d’un événement entrainant une forte réaction émotionnelle, que le cerveau décide de faire comme si cela n’avait pas existé. C’est lié avec un instinct de survie ou de protection » la renseignait-il afin qu’elle ne prenne pas peur ou qu’elle abandonne aussi vite. « De quoi vous vous souvenez exactement ? Cela peut être une sensation, un simple détail comme un son, une odeur » l’encourageait-il à se plonger dans ses souvenirs. Il y avait bien une méthode qui pourrait lui permettre de faire face à cet incident mais Jacob doutait qu’il serait réellement profitable dans sa situation. L’hypnose serait une méthode à appliquer dans quelques semaines voire quelques mois quand sa nouvelle patiente aura appris à canaliser sa peur et surtout qu’elle sera en mesure de lui faire pleinement confiance. « Fermez simplement les yeux et tentez de vous rappeler. Il est important de découvrir l’élément déclencheur d’une telle crise afin de pouvoir travailler dessus dans les prochains jours » surenchérit-il. De son côté, Jacob continuait d’annoter tous les petits détails qu’il pouvait trouver sur son physique, sa façon de s’exprimer. Il dessina un rapide croquis de son visage aux traits tirés. Il savait que tôt ou tard, son visage disparaitrait de son esprit. Il lui suffisait de détourner le regard quelques secondes pour l’oublier. C’était un handicap très difficile à vivre au quotidien. Jacob n’avait plus distingué son propre reflet depuis l’accident. A quoi ressemblait-il ? Il n’en avait plus aucune idée. Son assistant le rasait de peur qu’il ne se coupe, à croire que même ce simple geste intime ne lui était plus accessible. Le dernier coup de stylo acheva le croquis de mademoiselle Thompson qui se révélait être une jeune femme très agréable à regarder.

@Ellie Thompson

( Pando )

L’attitude de Jacob le rendait difficile à déchiffrer. Autant était-il un homme pourvu d’un charme évident dont il faisait preuve d’un stoïcisme déconcertant. Il déballait sa théorie comme un manuel d’instruction. Peut-être agissait-il ainsi par pur professionnalisme ou était-ce là un trait simple de personnalité? Il lui expliqua brièvement la raison de sa perte de mémoire puis enchaina avec une seconde question. Malgré qu’elle vienne tout juste de lui dire qu’elle n’en avait aucun souvenir, il insista. Un son, une sensation, une couleur, une lumière! Vraiment? Plus elle y repensait, moins elle se sentait capable de répondre à sa question. Elle ne se rappelait rien! Non seulement elle peinait à distinguer ce qu’on lui avait raconté et la réalité.

« Il a allumé la lumière, il s’est approché et c’est tout… Je crois que j’ai sursauté quand il m’a touchée. »

Répondit-elle, hésitante et essayant de collaborer un minimum. Par contre, sa collaboration s’arrêtait là. Elle ne fermerait pas les yeux. Pas ici, pas avec un inconnu dans la pièce, pas question de fermer les yeux plus d’une seconde! Clairement, elle se méfiait et son état de vigilance sortait de l’ordinaire.

« Je peux penser les yeux ouverts! Et de toute manière, je vous l’ai déjà dit, je n’ai aucune idée de ce qui m’est arrivé… On me l’a raconté.»

Lui fit-elle savoir, sèchement et de moins en moins encline à s’ouvrir. Elle se braquait, de plus en plus tendu et inconfortable de la présence de l'homme dans la pièce. Avant lui, le psychologue de l’hôpital n’était jamais parvenu à la faire parler suffisamment pour l’aider. Pour une raison quelconque, il avait cru que ce serait différent avec Jacob. Ellie n’accordait pas facilement sa confiance et ça ne datait pas d’hier.

« Vous écrivez toujours autant quand vous rencontrez un patient? »

Remarqua-t-elle un peu irrité de le voir griffonner sans arrêt. Depuis son arrivée, il écrivait et ne la regardait que distraitement avant de se reconcentrer sur son crayon. Ça lui donnait l’air d’un adolescent dont l’attention est toujours divisée entre son téléphone intelligent et la réalité. Qu’avait-il de si important à noter alors qu’ils ne faisaient que commencer à parler?


@Jacob Lannister

( Pando )

Jacob hochait la tête à chacune de ses interventions, ne cherchant pas le moins du monde à apaiser la tension qui peu à peu, s’installait dans la pièce. Il était important pour lui de savoir jusqu’où allait le traumatisme de la patiente et surtout, comment elle l’exprimait. Visiblement, la colère semblait être un mécanisme de défense chez elle. Il terminait ses annotations quand elle l’interpella justement sur ce petit travers. « J’aime me rappeler de mes patients et je fonctionne beaucoup par l’écrit » la renseignait-il en dévoilant une semi-vérité. Il ne pouvait lui avouer que son visage lui paraissait tantôt clair, tantôt flou et que dès que son intention ne se portait plus sur elle, il oubliait à quoi elle ressemblait. Sa voix, elle, était gravée dans son esprit. Il n’aurait aucun mal à se rappeler d’elle si elle s’adressait à lui. « Vous semblez sur la défensive. J’ai bien l’impression que c’est un trait de votre personnalité qui est exacerbé par votre traumatisme. Je m’excuse si je vous ai mise mal à l’aise avec mes questions mais je devais mesurer votre faculté à vous exprimer sur un épisode lié à votre mémoire à court terme afin de faire la différence entre le souvenir que l’on refoule et la faculté de se remémorer quelque chose de récent. Vous sortez d’un long coma et outre les dommages physiques que cela a pu provoquer, il y a des séquelles neurologiques. Le cerveau est un muscle comme un autre. Sans entrainement, il perd de son tonus. Je souhaitais simplement voir où vous en étiez » conclut-il en fermant son carnet pour réellement lui faire face. Ellie Thompson était clairement sur la défensive et obtenir sa confiance serait un travail de longue haleine surtout qu’elle semblait être le genre de femme qui préfère le contact visuel. Sa remarque concernant son carnet l’avait aiguillé sur cette conclusion. Elle avait paru agacée. « Pour guérir, il va falloir que vous me fassiez confiance mais je sais que c’est compliqué car vous me connaissez pas. Je pense que si nous décidions de travailler ensemble, les premières séances seront justement faites pour développer ce lien de confiance. Sans cela, nous n’arriverons à rien ensemble. Etes-vous d’accord avec moi ? » lui demandait-il pour deux raisons. La première, connaitre son avis. La seconde, savoir si elle désirait entreprendre une thérapie à ses côtés.

@Ellie Thompson

Spoiler:

( Pando )

Jacob craignait à tout moment que la méfiance de sa patiente ne vienne contrecarrer la réussite de ses soins. Il n’était jamais évident d’établir un semblant de confiance quand la personne avait été victime d’une agression. Bien souvent, ces mêmes personnes avaient tendance à devenir « les bourreaux » afin de frapper le premier et ne plus se sentir en position de vulnérabilité. Ellie lui en avait fait une petite démonstration en se montrant agacée par sa façon d’écrire et de dessiner sur son carnet. Elle n’avait pas apprécié ce fait et le lui avait fait savoir. Au moins, elle réagissait mais elle allait devoir faire attention pour ne pas sombrer dans une zone de conflit perpétuel surtout auprès d’inconnus. Il ignorait encore comment cela se passait avec ses proches. Le psychologue fut assez satisfait de la voir accepter finalement de travailler avec lui et il lui offrit un sourire sincère et chaleureux. Le premier sûrement depuis qu’il était entré dans cette chambre d’hôpital. « Eh bien dans un premier temps, si vous me l’autorisez, j’aimerais parler avec vos proches pour me faire une idée de la personne que vous étiez avant cette agression mais également de connaitre les rapports que vous entretenez avec eux. Vous avez tout loisir de leur parler en amont afin d’établir une liste de sujet à ne pas me révéler ou aborder avec moi. Le but étant de ne pas fouiner dans votre vie privée sans votre autorisation mais c’est un exercice très utile pour moi » lui expliquait-il avant de se lever et de s’approcher de son lit. « Vous êtes épuisée, nous débuterons notre thérapie quand vous serez apte à tenir une conversation même si, nous pouvons l’adapter à votre condition physique en découpant les séances de sorte à les étirer sur plusieurs jours afin de moins vous fatiguer. Qu’est-ce que vous en pensez mademoiselle Thompson ? »

@Ellie Thompson

( Pando )